Chamanisme et psychothérapie

Chamanisme et psychothérapie

Interview du psychiatre psychothérapeute Olivier Chambon par la revue Hozho, janvier 2012.

HOZHO: A quelle limite ou lacune se heurtent les psychothérapies classiques pour que l’homme moderne en revienne au chamanisme comme possible solution de soins ?

Olivier Chambon: Les psychothérapies modernes soignent la personnalité, le mental, mais négligent une partie essentielle de l’homme : sa partie spirituelle, à savoir son âme et son esprit. Elles font l’impasse sur les capacités quantiques de la conscience, c’est-à-dire son indépendance vis-à-vis du temps et de l’espace, son interconnexion à toutes les autres formes de conscience, son action possible sur la matière et sur les événements, sa survie lors de la mort du cerveau. Le chamanisme prend en compte toutes ces données et les intègre dans ses interventions thérapeutiques.

Ce retour à une technique «archaïque» de soin traduit-il également une forme de régression dans le comportement des sociétés modernes «mondialisée», tel un besoin de retrouver ses racines?

Un arbre qui pousse ne régresse pas, il progresse: le chamanisme a toujours été cet arbre vivant, en croissance, en mutation, s’adaptant à l’évolution du monde, et là, maintenant, il attrape au passage dans ses branches les psychothérapies occidentales pour les aider à se dépasser, à se transcender, à aller plus haut dans leur portée thérapeutique, à réunifier thérapie de la personnalité et thérapie de l’âme.

Comment «co-habite» ton esprit scientifique de médecin psychiatre et ton «esprit d’ouverture spirituel» que te procure la pratique du chamanisme? Y’a t’il une barrière à ne pas franchir dans la transcendance?

Je me réfère aux travaux, tout à fait scientifiques, de la physique quantique. Ce domaine de recherche offre des modèles de compréhension du réel capable d’expliquer à la fois notre perception habituelle de la réalité ordinaire et les phénomènes observés dans la réalité non ordinaire en état modifié de conscience. Les expériences étudiées par le modèle matérialiste (à ne pas confondre, comme on le fait souvent avec « La Science ») ainsi que celles se produisant lors de la pratique chamanique ne sont que deux domaines particuliers d’application de la physique quantique. Matérialisme et spiritualité ne s’opposent donc pas : ils constituent justes deux facettes d’une réalité plus globale. La science consiste à élaborer des hypothèses, trouver le moyen de rassembler des données permettant de valider ou d’invalider l’hypothèse. Notre civilisation occidentale est, comme le dit Harner «cognitivo-centriste», c’est-à-dire qu’elle repose sur l’a priori, la croyance (donc pas du tout scientifique, à cet égard), que seuls les observations faites dans un état rétréci de conscience (ce que l’on appelle l’état ordinaire de conscience) sont utilisables par la science. Ce qui est complètement paradoxal: il me semble plutôt logique de considérer que les données recueillies en état élargi de conscience (ou état modifié de conscience, ou état de conscience chamanique selon Harner) sont encore plus valables et dignes d’intérêt pour tester des hypothèses sur ce qu’est la réalité.

Justement en parlant des données recueillies en état élargi de conscience, est-ce que «l’animal de pouvoir» tel que décrit par Harner en fait parti?

Oui, d’ailleurs un «animal de pouvoir», peut apparaître spontanément lors d’un EMC survenant dans un contexte non chamanique: par exemple lors d’une séance d’hypnose classique. Il semble qu’il s’agisse là d’une potentialité universelle qu’a l’esprit humain de pouvoir rentrer en contact avec ce genre de présence.

Dans le langage psy, à quoi correspond l’animal de pouvoir et d’où provient la force qu’il nous procure ? Est-il influencé ou non par notre biographie et permanent ou au contraire, il évolue avec l’être?

En langage psy, on pourrait très bien se servir du terme de «numinosité» définie par Jung comme étant l’énergie attachée aux formes archétypales dans la psyché. Pour Jung, les «esprits alliés» correspondent en fait à des manifestations du Soi supérieur. Les archétypes jungiens, contrairement aux «idées platoniciennes» sont évolutifs et peuvent changer de forme ou de contenu en même temps que la progression du degré d’individuation du sujet. Il en est donc ainsi des animaux de pouvoir, qui ont eux même des capacités de «shape shifting» ou de changement de forme, et des fonctions évolutives au cours du temps.

A ton avis, qui soignent lors d’un voyage chamanique ? Les esprits du chaman ou ceux du patient?

A mon avis les esprits et l’énergie du chamane permettent de remettre le patient en contact avec ses esprits ou son propre Esprit, qui ensuite jouent le rôle de «guérisseur intérieur» en lui.

Dans Le Chamane & le Psy, que tu as co-écrit avec Laurent Huguelit, tu soulèves que la psychanalyse a aussi pour effet de renforcer l’ego des gens. Partir en voyage chamanique à la rencontre de son animal de pouvoir le renforce aussi non?

Les esprits alliés, comme l’animal de pouvoir (AP), sont appelés «esprits compassionnés»: ils apportent une aide aimante au sujet, qui peut effectivement en arriver à ressentir cet amour qu’ont pour lui ses alliés. Se sentir profondément aimé ne renforce pas l’ego, au contraire, cela le relâche: l’ego ne cherche à se renforcer que parce qu’il a l’impression d’avoir à se débrouiller seul dans un monde sans amour pour lui. L’AP ancre ainsi une nouvelle relation d’objet intériorisée saine dans le psychisme du sujet, et instaure ainsi une sorte de «reparentage» de l’enfant intérieur blessé. De plus l’AP est vécu comme séparé et distinct de l’ego, ce qu’il fait qu’il ne renforce pas l’ego du sujet, mais l’ouvre a une réalité qui lui est supérieure, pour ne pas dire transcendante.

Raconter ses démons sur un divan ou se discipliner à battre du tambour jusqu’à ce que le «je» s’effondre, est-ce que c’est la même victoire, peut importe le temps pour y parvenir?

En psychanalyse freudienne le but est effectivement qu’à partir du «ça» advienne le «moi». L’ambition d’une psychanalyse jungienne comme d’une cure chamanique est plus ambitieuse: que le «je» laisse place au Soi, à la partie spirituelle de la personne.

Laurent dit: «ce sont les esprits qui soignent la personne» et un peu plus loin, «il faut que se soit rapide»… Le patient ne fait que l’effort de se déplacer chez le chaman finalement? Il ne se responsabilise plus de ses modes de pensée, il ne retrouve pas la cause de son mal? Est-ce que la guérison ne sera que temporaire?

Oui, tout à fait. On constate que pour que l’effet d’une cure chamanique dure, il faut souvent que le sujet «mette la main à la pâte» pour stabiliser sa guérison. D’où l’intérêt d’une psychothérapie conjointe; si le sujet ne change pas ses habitudes physiques, émotionnelles, et mentales, le bout d’âme recouvert par le chamane ne restera pas dans le sujet, s’enfuira à nouveau pour ne pas être «maltraitée», ou l’intrusion enlevée reviendra se loger dans la faille de la personnalité restée ouverte.

Tout au long du livre, vous parler d’histoires de «pouvoir», des esprits des chamans… Comment occulter le transfert et le contre-transfert dans une dynamique de pouvoir constante? Les esprits et les chamans ont aussi un ego qui peut jouer à prendre des formes trompeuses? L.H., p.51, «les esprits existent et ils ont une réalité en dehors de nous».

Comme je le disais précédemment, le monde d’en bas et le monde d’en haut sont peuplés d’esprits compassionnés et ne risquent pas d’être le théâtre de dérives égoïques ou de luttes de pouvoir sorcier. Dans le monde du milieu, par contre, les esprits ont une durée de vie limitée, la mort y existe, le temps et l’énergie y sont comptés, c’est donc du donnant – donnant, et une lutte de pouvoir peut s’installer.
C’est un monde où l’éthique n’est pas ce qui prédomine. Les éléments, par exemple (air, terre, feu, eau), n’ont pas d’ego au sens humain du terme, simplement leur force est brute, ils n’ont pas une «morale» propre qui accompagne leur force: cette force doit donc être dirigée par l’intention de guérison du chamane et canalisée avec l’aide d’un de ses esprit alliés. L’amour est la seule force qui permette de canaliser l’intention soignante et de «lasériser» l’énergie du chamane pour que le «pouvoir» recueillis par celui-ci ne soit pas au service de l’auto-agrandissement de son ego mais constitue vraiment une force compassionnée au service de l’Esprit.

«Je me dis toujours que ce ne sont pas les psychédéliques en tant que substances qui agissent….qui créent l’expérience mystique».(p.58) Selon toi, «l’esprit de la plante» même n’intervient pas? C’est uniquement une substance qui permet d’ouvrir un canal personnel?

Ah si, les deux sont vrais; la plante nous ouvre à notre «Esprit» mais aussi à d’autres esprits, indépendants (esprits de la plante et de son «égrégore»).

Les psychiatres semblent convaincus de la nécessité des anti-dépresseurs, médicaments,.. est-ce que ta démarche «chamanique» avec les psychédéliques en découle? Est-ce que le monde du milieu avait déjà cette emprise sur toi? Quelle place occupe maintenant le voyage au tambour?

Tous les psychiatres ne sont pas «convaincus de la nécessité des psychotropes (anti-dépresseurs entre autres). En tout cas pas moi. Cependant, les médicaments sont parfois inévitables, lorsque la souffrance du patient est vraiment trop grande et insupportable, si on ne veut pas laisser la personne s’y engluer et devenir inaccessible à tout soin psychothérapique. Mais un traitement médicamenteux n’est jamais suffisant et devrait toujours s’accompagner d’une psychothérapie qui le rendra inutile à long terme.
Mon intérêt pour les psychédéliques ne vient pas de ma formation de médecin mais de mon émerveillement pour l’accès «facilité» à la transcendance que permettent ces substances, ainsi que l’ouverture rapide qu’elles autorisent sur la réalité d’autres mondes peuplés d’esprit. Cette rapidité et cette facilité en font en même temps toute la «dangerosité» lorsqu’elles ne sont pas ingérées dans un cadre très protégé en présence d’experts (comme les chamanes) qui peuvent en réguler les effets. Les psychédéliques permettent de faire entrevoir qu’il existe bel et bien une autre réalité bien plus riche et multidimensionnelle que celle perçue en état ordinaire de conscience. Cette expérience constitue alors une référence, un «phare» qui brille au loin pour nous rappeler ce qui est possible et nous guider dans notre progression spirituelle. Mais après il vaut mieux cheminer plus lentement mais sûrement, grâce eu tambour. Tal Schaller dit avec justesse que prendre des psychédéliques c’est comme prendre l’avion: on arrive très vite très loin, sans avoir pu contempler le paysage du trajet, et une fois qu’on est dans l’avion on ne peut plus descendre. Alors qu’utiliser le tambour pour se mettre en transe, c’est comme voyager en marchant sur un petit chemin de campagne: on y va à son rythme, on profite du paysage , et on peut s’arrêter quand
on veut. C’est pour cela que je préconise aux gens de ne pas faire trop d’expériences psychédéliques (dans les pays où c’est légal), mais de vite trouver un autre moyen (yoga, méditation, tambour, chant , danse, etc..) pour maîtriser les états modifiés de conscience nécessaires à la pratique du chamanisme. De toute façon en France les psychédéliques sont interdits: donc ça règle le problème!

Lors d’un soin, le chaman remet les énergies et «les bouts d’âmes» à leur place. Mais le patient ne touche pas à cette matière qui lui appartient, il s’en remet de nouveau au «guérisseur à l’extérieur de lui. Où est l’évolution thérapeutique finalement? L’humain est-il condamné à dépendre éternellement d’un autre pour rejoindre son âme?

Dans la «psychothérapie chamanique» (synthèse de psychothérapie et de chamanisme), un point très spécifique estque le patient apprend à devenir son propre guérisseur, à savoir activer son propre «guérisseur intérieur». Il participe activement lors de la séance, il lui est expliqué les actions du thérapeute, il peut effectuer des actions soignantes sur lui-même lors du rituel et des «tâches» à entreprendre après la séance lui seront prescrites, pour soutenir le changement survenu. Il peut aussi apprendre des procédures pour continuer à effectuer des recouvrements d’âme ou des extractions
chamaniques sur lui-même (par exemple en employant des techniques d’hypnose symbolique de Lockert).

Quel accueil as-tu avec cette psychothérapie chamanique en France? A-t-elle une chance, légalement et pratiquement parlant, de s’installer en cabinet ?

De plus en plus de «psys» français suivent les séminaires de la FSS avec Laurent Huguelit. Certains d’entre eux m’interpellent (mail, facebook) depuis la parution du livre Le Chamane et le Psy. Mais cela reste un sujet encore assez confidentiel: je suis sûr qu’aucun de mes confrères psychiatres lyonnais (à part deux amis) ne connaisse ce livre ou mon intérêt pour le sujet. En Juin 2012 paraîtra mon livre «psychothérapie et chamanisme» chez Guy Trédaniel, on verra alors l’accueil que cela recevra chez les soignants français. Ceci dit, un média français majeur comme Psychologie Magazine publie de plus en plus d’articles sur le chamanisme. Légalement, du moment qu’on a le statut (officiel, maintenant, en France) de psychothérapeute, on peut bien utiliser des techniques et concepts d’approches variés, pourvu qu’ils soient utiles et ne nuisent pas au patient.

Est-ce que tes patients sont majoritairement demandeurs de cette pratique ou y’a t’il encore des gens qui te contactent pour une psychothérapie classique? Es-tu «catalogué» par tes écrits?

Non j’ai très peu de patients qui viennent me voir pour «du chamanisme». Très peu d’entre eux savent ou sont intéressés par le fait que je m’intéresse de près au chamanisme. 98% viennent me voir pour les psychothérapies tout à fait classiques que j’emploie, même si évidemment mes techniques ne sont pas toujours très «classiques» vu qu’elles intègrent la spiritualité et les états modifiés de conscience.

Psychothérapie et chamanisme semblent faire bon ménage, y vois-tu des obstacles au quotidien ?

Aucun obstacle réel. A part nos propres limites conceptuelles, notre inhibition créative, ou nos préjugés.

Est-ce que les pratiques chamaniques ont changées ta perception de la mort?

Non, intuitivement j’ai su, depuis tout petit, qu’il y avait une survie de l’âme après la mort. Quelques années avant de m’intéresser au chamanisme, je m’étais mis à lire la littérature aanglo-saxonne sur les Etats de mort Imminentes (les fameuses Near Death Experience ou NDE), et le vécu des gens qui passaient par cette expérience, ainsi que les faits objectifs qui prouvaient qu’ils n’avaient pas «hallucinés», apportèrent à mes yeux une confirmation scientifique de l’indépendance de la conscience vis-à-vis du cerveau. Je vais d’ailleurs sortir un livre sur ce dernier sujet (mars 2012) chez l’éditeur Guy Trédaniel! Les pratiques chamaniques, par contre, m’ont procuré des méthodes pratiques pour m’adresser aux esprits des défunts, dans différents buts, ou bien pour aider l’âme d’un défunt à reprendre ou à continuer son évolution spirituelle, lorsqu’une partie de celle-ci reste accrochée à des niveaux énergétiques inférieurs. Dans ce dernier cas, il faut alors procéder à une sorte de «recouvrement d’âme pour le défunt»!.

 

Bibliographie

O.Chambon, La médecine psychédélique-le pouvoir thérapeutique des hallucinogènes, Editions Les Arènes, 2009
O.Chambon, M.Marie-Cardine, «Les bases de la psychothérapie», 3ème édition, 2010
L.Huguelit, O.Chambon, «Le chamane et le Psy», Mama Editions, 2010.
FSS – Foundation for Shamanic Studies

 

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